Article paru dans LES LANGUES MODERNES, dossier Enseigner par les arts de la scène, APLV, Paris, juin 2/2023, pp.75-79
PAR RÉGINE DAUTRY-NORGUET, DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS V-SORBONNE, EXPERT FEI ET AUF
Tout a commencé pendant le confinement en 2020. Dans le cadre d’un partenariat, deux associations, l’Association des Professeurs de Langues Vivantes (APLV)(1) et la Coordination Nationale des Enseignants de Français en Algérie (CNEFA)(2) décident de mener à bien un projet commun : « l’Enseignement du FLE (Français Langue Étrangère) par le théâtre ».
Ce projet s’inscrit dans les objectifs de la CNEFA qui souhaite valoriser le contexte pédagogique francophone en Algérie. Parallèlement, il est conforme au but de l’APLV qui est d’œuvrer pour la rencontre et la promotion des langues vivantes, étrangères ou régionales. En tant qu’adhérente de l’APLV, didacticienne du théâtre et spécialiste de FLE, j’ai conçu et mené ce projet, de la formation des enseignants jusqu’au festival.
Son objectif initial est de développer les moyens d’expression des élèves en français par l’intermédiaire du théâtre. Il intégrera finalement la participation de toutes les langues vivantes enseignées en Algérie. Mis en œuvre pendant l’année scolaire 2021-2022, il se termine par le Festival de théâtre scolaire de la CNEFA à Alger du 4 au 7 août 2022.
Le projet comporte trois volets successifs et complémentaires. Le premier concerne la formation des enseignants algériens à la didactique du théâtre. Proposée par l’APLV, elle s’effectue en distanciel par visioconférence (via la plateforme Zoom) et s’échelonne de novembre 2021 à juillet 2022. Dans un second temps, vient le montage des pièces qui a eu lieu de février à août 2022. Nous travaillons de la façon suivante : les professeurs enregistrent des vidéos lors des répétitions avec leurs troupes d’élèves, puis ils me les soumettent pour mettre au point la mise en scène. Enfin, vient le Festival : organisé par la CNEFA, il s’est déroulé en août 2022 à Alger. Y ont été présentées les pièces montées pendant l’année, ainsi que des interludes de musique et de poésies en diverses langues.
La formation didactique
Le public
La formation s’adresse à un groupe d’une vingtaine d’enseignants algériens du primaire et du secondaire. La CNEFA couvrant l’ensemble du territoire algérien, ces enseignants représentent un grand nombre de wilayas(3) : Alger, Biskra, Bejaïa, Aïn-Sefra, Naama, Miliana, Touggourt, El-Oued, Sétif, Tizi-Ouzou, Tlemcen, Tébessa, Relizane, Oran, etc. Cette atomisation géographique a son importance, dans la mesure où les enseignants n’ont pas toujours de réseau internet suffisant pour accéder à Zoom. Ainsi, d’un cours à l’autre, certains visages disparaissent, d’autres réapparaissent, mais parfois sans le son, ou tout simplement la connexion est coupée. Ces difficultés techniques ont considérablement ralenti le déroulement des séances.
Pour ce qui est du réinvestissement de cette formation dans les cours ou auprès des troupes que les enseignants ont créées, il est difficile de connaître le nombre d’élèves qui ont été concernés. Si on se reporte au nombre d’élèves hébergés à Alger lors du festival, c’est-à-dire aux élèves qui sont montés sur scène, il est approximativement de quarante-trois pour le primaire et le secondaire, et de quatre étudiants pour le supérieur. Ce qui représente onze troupes de théâtre accompagnées de leurs professeurs et inspecteurs. Il est important de noter que cette entreprise a impliqué un large éventail de profils d’élèves. Certains, comme la troupe de petite et moyenne section qui a interprété le conte le Petit Chaperon rouge, étaient des enfants. Les étudiants qui ont interprété quelques scènes du Cid de Pierre Corneille étaient en Master de français. Entre les deux extrêmes vient la tranche d’âge des collégiens et des lycéens.
Le contenu didactique
La formation s’adresse à des professionnels de l’enseignement qui ont l’expérience du théâtre, mais sous la forme de textes ou d’œuvres destinés à être analysés dans le cadre d’un cours de littérature. Au plan didactique, cela détermine la première étape de la formation : que signifiait pour chacun le terme de théâtre ? Passer de la notion de théâtre comme support d’analyse littéraire à celle de représentation dramatique a fait l’objet des premiers ateliers sur Zoom.
Autre point-clé de la réflexion didactique : étant donné que certains professeurs étaient affectés dans des régions isolées et éloignées de tout, comment faire concevoir ce qu’est un théâtre, en tant que lieu de représentation, à des élèves qui n’avaient jamais eu de contact avec ce genre de loisir ? Et comment le leur décrire, avec ses espaces dédiés, scène, frontières, coulisses, salle, etc. ? Enfin, que fallait-il comprendre par « faire du théâtre en classe » ? Sérier les domaines d’applications pédagogiques du théâtre a été une des lignes de force de notre travail : en même temps qu’on les déterminait, ils faisaient l’objet d’activités transposables en classe.
Pour ce qui est du contenu dramatique, les enseignants de collège et de lycée ont opté pour des œuvres adaptées à l’hétérogénéité de leur classe (grande diversité des âges et niveaux de langue, de A1 à C2 du CECRL, notamment La Mauvaise note de Michel Coulareau, « L’addition » de Jacques Prévert ou « Consultation » de Bernard Friot. Notons les fables et les contes, figurant dans le programme algérien de français. De Jean de La Fontaine, « La cigale et la fourmi », « Le loup et l’agneau », « Le corbeau et le renard » ont été scénarisés par de très jeunes élèves et des collégiens. Il en est de même pour les contes comme Le Petit chaperon rouge de Charles Perrault ou Les Habits neufs de l’empereur de Hans Christian Andersen. Un autre genre littéraire n’a été abordé que par un seul professeur : la poésie, avec « Demain dès l’aube » de Victor Hugo.
À cela, il faut ajouter les créations composées par des lycéens. Le thème de la violence dans le couple a obtenu le premier prix. Les autres créations, composées par des collégiens sur les droits des enfants ou le respect de la planète, n’ont finalement pas concouru.
La mise en scène ou le montage des pièces
Avant le travail de mise en scène lui-même, j’ai commencé par une étape réservée à l’art oratoire, plus exactement à la diction. Base de la formation de l’acteur, c’est un ensemble de théories et de techniques sur lesquels reposent les étapes successives de la mise en scène. Il me fallait donc donner ces outils aux enseignants afin qu’ils préparent eux-mêmes leurs élèves à monter sur scène, à se faire entendre et comprendre. Bien que ce soit assez difficile à réaliser lors de formations en visioconférence, j’ai proposé aux professeurs des jeux phonétiques portant sur la diction et ses formes, la maîtrise de la voix, l’impact du rythme, l’articulation et ses pièges, l’intonation, l’équilibre et la présence, etc. Les enseignants ont ensuite réinvesti ces techniques lors des répétitions avec leurs troupes d’élèves. Comme il n’était pas possible que je sois physiquement présente aux répétitions en Algérie et auprès de chaque troupe, les professeurs m’ont envoyé de petites vidéos qui me permettaient de suivre l’avancée de leurs travaux. Nous échangions ensuite de vive voix sur Messenger ou WhatsApp, ou encore par courriel. Ces échanges personnalisés nous ont permis de nous adapter aux compétences des élèves et à leur créativité pour de futures représentations.
La mise en scène s’est faite progressivement, toujours en associant la théorie et la pratique. Par exemple, le tri et les adaptations, la conception d’un dispositif scénique à partir d’un texte littéraire ou la construction du dialogue ont fait l’objet d’un maximum d’attention. Mais d’autres points-clés de la mise en scène ont été abordés, l’un des plus difficiles étant la maîtrise des entrées et des sorties des personnages. Quant au texte lui-même, les coupures, les adaptations culturelles, les reformulations linguistiques ont pris une large place. D’autres éléments plus techniques sont entrés en ligne de compte, comme la façon d’apprendre et de mémoriser ou la gestion des répétitions et du temps. La conception des décors, la régie du son, les costumes sont des domaines que les professeurs ont pris en charge avec leurs troupes.
Le festival
La préparation du festival et sa tenue ont été entièrement prises en main par la CNEFA. Différents facteurs en ont retardé la date ou désorganisé la préparation.
La première difficulté pour les responsables de la CNEFA a été de trouver une salle de spectacle dans la capitale, ce qui leur a demandé beaucoup d’énergie. Le Ramadan en avril-mai, les examens en juin, les vacances en juillet ont éparpillé les troupes. S’y ajoutaient les difficultés inhérentes à la collecte de l’autorisation des parents et des chefs d’établissements, et des problèmes logistiques : comment et où héberger tout le monde à Alger, élèves, parents et professeurs ?
Parallèlement, nous avions décidé de faire évoluer le projet, car des professeurs de langues vivantes, intéressés, souhaitaient participer. Nous avons donc associé au spectacle d’autres langues vivantes et le titre « Langues en scène » a été retenu. Par ordre alphabétique : allemand, anglais, arabe, berbère, coréen, italien ont eu leur part sous la forme de chansons, de poèmes et d’intermèdes musicaux. L’ensemble du spectacle, qui regroupait ces intermèdes et les représentations théâtrales – de 20 minutes maximum – était très réussi, équilibré, vivant et il avait le mérite de s’ancrer dans un cadre culturel international et algérien.
Le Festival a finalement eu lieu au grand théâtre d’Alger du 4 au 7 août 2022. Le jury, composé de spécialistes du théâtre, a décerné deux prix. La troupe qui a reçu le premier prix a été invitée à participer au Festival des Festivals de
l’association ArtDraLa (4) du 15 au 21 avril 2023 à la Roche-sur-Yon, en France. Celle qui a remporté le second a été conviée à se produire au Festival international de théâtre scolaire de Tunisie qui s’est tenu à Korba et Hammamet du 2 au 5 novembre 2022. Ces prix ouvrent à de jeunes Algériens les portes de l’étranger et ces festivals de théâtre sont autant de rencontres festives autour du français et des langues vivantes.
Conclusion
À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’évaluation du projet est en cours avec les enseignants de la CNEFA. Compte tenu de son succès et du plaisir qu’en ont retiré les élèves, le projet a été reconduit pour l’année scolaire 2022-2023 et le festival aura normalement lieu à Alger en juillet 2023.
En conclusion, nous dressons un bilan positif de ce projet et du festival. Premier du genre, et bien qu’ayant beaucoup évolué dans son contenu et son orientation, il représente pour tous ceux qui ont participé à la réussite de cette aventure, responsables (5), professeurs, inspecteurs, élèves, équipe des animateurs, une victoire didactique, la victoire du théâtre au service des langues et des cultures.
Notes
1 L’APLV a son siège à Paris. Elle mène en permanence une réflexion sur l’enseignement-apprentissage des langues vivantes et œuvre pour la promotion et la diversification des langues vivantes, étrangères et régionales, ceci à tous les niveaux du système éducatif.
2 La CNEFA réunit les professeurs de français de l'enseignement primaire, moyen, secondaire et universitaire de toute l'Algérie. Très impliquée dans la formation et la Francophonie, la CNEFA organise de nombreux webinaires, sessions de formation, évènements littéraires.
3 Une wilaya est une division territoriale.
4 ART DRAMATIQUE ET LANGUES. C’est un réseau international de troupes théâtrales scolaires auquel appartiennent la CNEFA ainsi que la troupe tunisienne qui a reçu le second prix. Sa manifestation emblématique est le Festival des Festivals. Il est organisé tous les ans par un des pays du réseau. En 2023, il aura lieu en France, à La Roche-sur-Yon sous la responsabilité de la troupe Vents et Marées.
5 Madame Fatiha Bousmaha, secrétaire générale de la CNEFA, très active et engagée, met au point quantité de formations pour ses adhérents.
Repères bibliographiques
ANDERSEN, Hans, Christian. Les Habits neufs. Paris : Éditions NordSud, 2005.
CECRL. Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues - Apprendre, Enseigner, Évaluer. Conseil de l’Europe, 2001.
CORNEILLE, Pierre. Le Cid. Paris : Flammarion, Étonnants classiques - Lycée, 2017.
COULAREAU, Michel. Copie conforme suivi de La Mauvaise note. In Petites Comédies. Paris : Retz, 2015
DAUTRY, Régine. « Le théâtre comme outil pédagogique : quelles pratiques ? ». Recherches et applications. Juillet 2016, n° 60. Paris : CLÉ international, p. 79-85.
FRIOT, Bernard. « Consultation ». In Histoires pressées. Toulouse : Éditions Milan, 2019. HUGO, Victor. Les Contemplations. Paris : Garnier Flammarion, 2008.
LA FONTAINE, Jean de. Fables. Paris : Le livre de poche, 1971.
PERRAULT, Charles. Contes. Paris : Le livre de poche, 2006.
PRÉVERT, Jacques. « L’addition ». In Le Beau langage. Paris : Gallimard Jeunesse, 2011.
Repères sitographiques
APLV : https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?rubrique1 ArtDraLa : https://www.artdrala.eu/
CNEFA : http://cnefa-dza.fipf.org/accueil
Lettre d'information de la FIPF - du 06/08/2022 : http://cnefa-dza.fipf.org/actualite/la-cnefa-la-coordination-nationale-des-enseignants-de-francais-dalgerie-46
Point sur le projet « le FLE par le théâtre », mené par l’APLV et la CNEFA : https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article9238
PAR RÉGINE DAUTRY-NORGUET, DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS V-SORBONNE, EXPERT FEI ET AUF
Tout a commencé pendant le confinement en 2020. Dans le cadre d’un partenariat, deux associations, l’Association des Professeurs de Langues Vivantes (APLV)(1) et la Coordination Nationale des Enseignants de Français en Algérie (CNEFA)(2) décident de mener à bien un projet commun : « l’Enseignement du FLE (Français Langue Étrangère) par le théâtre ».
Ce projet s’inscrit dans les objectifs de la CNEFA qui souhaite valoriser le contexte pédagogique francophone en Algérie. Parallèlement, il est conforme au but de l’APLV qui est d’œuvrer pour la rencontre et la promotion des langues vivantes, étrangères ou régionales. En tant qu’adhérente de l’APLV, didacticienne du théâtre et spécialiste de FLE, j’ai conçu et mené ce projet, de la formation des enseignants jusqu’au festival.
Son objectif initial est de développer les moyens d’expression des élèves en français par l’intermédiaire du théâtre. Il intégrera finalement la participation de toutes les langues vivantes enseignées en Algérie. Mis en œuvre pendant l’année scolaire 2021-2022, il se termine par le Festival de théâtre scolaire de la CNEFA à Alger du 4 au 7 août 2022.
Le projet comporte trois volets successifs et complémentaires. Le premier concerne la formation des enseignants algériens à la didactique du théâtre. Proposée par l’APLV, elle s’effectue en distanciel par visioconférence (via la plateforme Zoom) et s’échelonne de novembre 2021 à juillet 2022. Dans un second temps, vient le montage des pièces qui a eu lieu de février à août 2022. Nous travaillons de la façon suivante : les professeurs enregistrent des vidéos lors des répétitions avec leurs troupes d’élèves, puis ils me les soumettent pour mettre au point la mise en scène. Enfin, vient le Festival : organisé par la CNEFA, il s’est déroulé en août 2022 à Alger. Y ont été présentées les pièces montées pendant l’année, ainsi que des interludes de musique et de poésies en diverses langues.
La formation didactique
Le public
La formation s’adresse à un groupe d’une vingtaine d’enseignants algériens du primaire et du secondaire. La CNEFA couvrant l’ensemble du territoire algérien, ces enseignants représentent un grand nombre de wilayas(3) : Alger, Biskra, Bejaïa, Aïn-Sefra, Naama, Miliana, Touggourt, El-Oued, Sétif, Tizi-Ouzou, Tlemcen, Tébessa, Relizane, Oran, etc. Cette atomisation géographique a son importance, dans la mesure où les enseignants n’ont pas toujours de réseau internet suffisant pour accéder à Zoom. Ainsi, d’un cours à l’autre, certains visages disparaissent, d’autres réapparaissent, mais parfois sans le son, ou tout simplement la connexion est coupée. Ces difficultés techniques ont considérablement ralenti le déroulement des séances.
Pour ce qui est du réinvestissement de cette formation dans les cours ou auprès des troupes que les enseignants ont créées, il est difficile de connaître le nombre d’élèves qui ont été concernés. Si on se reporte au nombre d’élèves hébergés à Alger lors du festival, c’est-à-dire aux élèves qui sont montés sur scène, il est approximativement de quarante-trois pour le primaire et le secondaire, et de quatre étudiants pour le supérieur. Ce qui représente onze troupes de théâtre accompagnées de leurs professeurs et inspecteurs. Il est important de noter que cette entreprise a impliqué un large éventail de profils d’élèves. Certains, comme la troupe de petite et moyenne section qui a interprété le conte le Petit Chaperon rouge, étaient des enfants. Les étudiants qui ont interprété quelques scènes du Cid de Pierre Corneille étaient en Master de français. Entre les deux extrêmes vient la tranche d’âge des collégiens et des lycéens.
Le contenu didactique
La formation s’adresse à des professionnels de l’enseignement qui ont l’expérience du théâtre, mais sous la forme de textes ou d’œuvres destinés à être analysés dans le cadre d’un cours de littérature. Au plan didactique, cela détermine la première étape de la formation : que signifiait pour chacun le terme de théâtre ? Passer de la notion de théâtre comme support d’analyse littéraire à celle de représentation dramatique a fait l’objet des premiers ateliers sur Zoom.
Autre point-clé de la réflexion didactique : étant donné que certains professeurs étaient affectés dans des régions isolées et éloignées de tout, comment faire concevoir ce qu’est un théâtre, en tant que lieu de représentation, à des élèves qui n’avaient jamais eu de contact avec ce genre de loisir ? Et comment le leur décrire, avec ses espaces dédiés, scène, frontières, coulisses, salle, etc. ? Enfin, que fallait-il comprendre par « faire du théâtre en classe » ? Sérier les domaines d’applications pédagogiques du théâtre a été une des lignes de force de notre travail : en même temps qu’on les déterminait, ils faisaient l’objet d’activités transposables en classe.
Pour ce qui est du contenu dramatique, les enseignants de collège et de lycée ont opté pour des œuvres adaptées à l’hétérogénéité de leur classe (grande diversité des âges et niveaux de langue, de A1 à C2 du CECRL, notamment La Mauvaise note de Michel Coulareau, « L’addition » de Jacques Prévert ou « Consultation » de Bernard Friot. Notons les fables et les contes, figurant dans le programme algérien de français. De Jean de La Fontaine, « La cigale et la fourmi », « Le loup et l’agneau », « Le corbeau et le renard » ont été scénarisés par de très jeunes élèves et des collégiens. Il en est de même pour les contes comme Le Petit chaperon rouge de Charles Perrault ou Les Habits neufs de l’empereur de Hans Christian Andersen. Un autre genre littéraire n’a été abordé que par un seul professeur : la poésie, avec « Demain dès l’aube » de Victor Hugo.
À cela, il faut ajouter les créations composées par des lycéens. Le thème de la violence dans le couple a obtenu le premier prix. Les autres créations, composées par des collégiens sur les droits des enfants ou le respect de la planète, n’ont finalement pas concouru.
La mise en scène ou le montage des pièces
Avant le travail de mise en scène lui-même, j’ai commencé par une étape réservée à l’art oratoire, plus exactement à la diction. Base de la formation de l’acteur, c’est un ensemble de théories et de techniques sur lesquels reposent les étapes successives de la mise en scène. Il me fallait donc donner ces outils aux enseignants afin qu’ils préparent eux-mêmes leurs élèves à monter sur scène, à se faire entendre et comprendre. Bien que ce soit assez difficile à réaliser lors de formations en visioconférence, j’ai proposé aux professeurs des jeux phonétiques portant sur la diction et ses formes, la maîtrise de la voix, l’impact du rythme, l’articulation et ses pièges, l’intonation, l’équilibre et la présence, etc. Les enseignants ont ensuite réinvesti ces techniques lors des répétitions avec leurs troupes d’élèves. Comme il n’était pas possible que je sois physiquement présente aux répétitions en Algérie et auprès de chaque troupe, les professeurs m’ont envoyé de petites vidéos qui me permettaient de suivre l’avancée de leurs travaux. Nous échangions ensuite de vive voix sur Messenger ou WhatsApp, ou encore par courriel. Ces échanges personnalisés nous ont permis de nous adapter aux compétences des élèves et à leur créativité pour de futures représentations.
La mise en scène s’est faite progressivement, toujours en associant la théorie et la pratique. Par exemple, le tri et les adaptations, la conception d’un dispositif scénique à partir d’un texte littéraire ou la construction du dialogue ont fait l’objet d’un maximum d’attention. Mais d’autres points-clés de la mise en scène ont été abordés, l’un des plus difficiles étant la maîtrise des entrées et des sorties des personnages. Quant au texte lui-même, les coupures, les adaptations culturelles, les reformulations linguistiques ont pris une large place. D’autres éléments plus techniques sont entrés en ligne de compte, comme la façon d’apprendre et de mémoriser ou la gestion des répétitions et du temps. La conception des décors, la régie du son, les costumes sont des domaines que les professeurs ont pris en charge avec leurs troupes.
Le festival
La préparation du festival et sa tenue ont été entièrement prises en main par la CNEFA. Différents facteurs en ont retardé la date ou désorganisé la préparation.
La première difficulté pour les responsables de la CNEFA a été de trouver une salle de spectacle dans la capitale, ce qui leur a demandé beaucoup d’énergie. Le Ramadan en avril-mai, les examens en juin, les vacances en juillet ont éparpillé les troupes. S’y ajoutaient les difficultés inhérentes à la collecte de l’autorisation des parents et des chefs d’établissements, et des problèmes logistiques : comment et où héberger tout le monde à Alger, élèves, parents et professeurs ?
Parallèlement, nous avions décidé de faire évoluer le projet, car des professeurs de langues vivantes, intéressés, souhaitaient participer. Nous avons donc associé au spectacle d’autres langues vivantes et le titre « Langues en scène » a été retenu. Par ordre alphabétique : allemand, anglais, arabe, berbère, coréen, italien ont eu leur part sous la forme de chansons, de poèmes et d’intermèdes musicaux. L’ensemble du spectacle, qui regroupait ces intermèdes et les représentations théâtrales – de 20 minutes maximum – était très réussi, équilibré, vivant et il avait le mérite de s’ancrer dans un cadre culturel international et algérien.
Le Festival a finalement eu lieu au grand théâtre d’Alger du 4 au 7 août 2022. Le jury, composé de spécialistes du théâtre, a décerné deux prix. La troupe qui a reçu le premier prix a été invitée à participer au Festival des Festivals de
l’association ArtDraLa (4) du 15 au 21 avril 2023 à la Roche-sur-Yon, en France. Celle qui a remporté le second a été conviée à se produire au Festival international de théâtre scolaire de Tunisie qui s’est tenu à Korba et Hammamet du 2 au 5 novembre 2022. Ces prix ouvrent à de jeunes Algériens les portes de l’étranger et ces festivals de théâtre sont autant de rencontres festives autour du français et des langues vivantes.
Conclusion
À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’évaluation du projet est en cours avec les enseignants de la CNEFA. Compte tenu de son succès et du plaisir qu’en ont retiré les élèves, le projet a été reconduit pour l’année scolaire 2022-2023 et le festival aura normalement lieu à Alger en juillet 2023.
En conclusion, nous dressons un bilan positif de ce projet et du festival. Premier du genre, et bien qu’ayant beaucoup évolué dans son contenu et son orientation, il représente pour tous ceux qui ont participé à la réussite de cette aventure, responsables (5), professeurs, inspecteurs, élèves, équipe des animateurs, une victoire didactique, la victoire du théâtre au service des langues et des cultures.
Notes
1 L’APLV a son siège à Paris. Elle mène en permanence une réflexion sur l’enseignement-apprentissage des langues vivantes et œuvre pour la promotion et la diversification des langues vivantes, étrangères et régionales, ceci à tous les niveaux du système éducatif.
2 La CNEFA réunit les professeurs de français de l'enseignement primaire, moyen, secondaire et universitaire de toute l'Algérie. Très impliquée dans la formation et la Francophonie, la CNEFA organise de nombreux webinaires, sessions de formation, évènements littéraires.
3 Une wilaya est une division territoriale.
4 ART DRAMATIQUE ET LANGUES. C’est un réseau international de troupes théâtrales scolaires auquel appartiennent la CNEFA ainsi que la troupe tunisienne qui a reçu le second prix. Sa manifestation emblématique est le Festival des Festivals. Il est organisé tous les ans par un des pays du réseau. En 2023, il aura lieu en France, à La Roche-sur-Yon sous la responsabilité de la troupe Vents et Marées.
5 Madame Fatiha Bousmaha, secrétaire générale de la CNEFA, très active et engagée, met au point quantité de formations pour ses adhérents.
Repères bibliographiques
ANDERSEN, Hans, Christian. Les Habits neufs. Paris : Éditions NordSud, 2005.
CECRL. Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues - Apprendre, Enseigner, Évaluer. Conseil de l’Europe, 2001.
CORNEILLE, Pierre. Le Cid. Paris : Flammarion, Étonnants classiques - Lycée, 2017.
COULAREAU, Michel. Copie conforme suivi de La Mauvaise note. In Petites Comédies. Paris : Retz, 2015
DAUTRY, Régine. « Le théâtre comme outil pédagogique : quelles pratiques ? ». Recherches et applications. Juillet 2016, n° 60. Paris : CLÉ international, p. 79-85.
FRIOT, Bernard. « Consultation ». In Histoires pressées. Toulouse : Éditions Milan, 2019. HUGO, Victor. Les Contemplations. Paris : Garnier Flammarion, 2008.
LA FONTAINE, Jean de. Fables. Paris : Le livre de poche, 1971.
PERRAULT, Charles. Contes. Paris : Le livre de poche, 2006.
PRÉVERT, Jacques. « L’addition ». In Le Beau langage. Paris : Gallimard Jeunesse, 2011.
Repères sitographiques
APLV : https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?rubrique1 ArtDraLa : https://www.artdrala.eu/
CNEFA : http://cnefa-dza.fipf.org/accueil
Lettre d'information de la FIPF - du 06/08/2022 : http://cnefa-dza.fipf.org/actualite/la-cnefa-la-coordination-nationale-des-enseignants-de-francais-dalgerie-46
Point sur le projet « le FLE par le théâtre », mené par l’APLV et la CNEFA : https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article9238