Ça a commencé dans les années 90, à la fin du deuxième millénaire : la mode s’est d’abord attaquée aux répondeurs téléphoniques qui se sont mis à répondre du jour au lendemain au correspondant ébahi : « Vous êtes bien sur le répondeur de Madame Truc, vous pouvez me laisser RRun message, je vous rappellerai. » Alors, on rappelait encore, rien que pour entendre cette liaison nouvelle, et puis, pour faire comme tout le monde, on laissait un message : « On va manger RRensemble ce soir ? ».
Puis les médias ont relayé, ce sont les sportifs de haut niveau qui ont attrapé le virus de la liaison en même temps que les présidents de la République : « J’ai un bon mental, ça me permet de monter RRau filet… », pendant que l’autre sermonnait : « Dans le contexte actuel, il n’est pas imaginable de proposer RRun amendement à... ». De liaison en liaison, le quotidien a enraciné le phénomène : on parlait de la colonne de mercure qui allait « monter RRaujourd’hui jusqu’à trente degrés » ; alors, on prenait l’avion pour tâcher d’échapper RRà la pollution, et quand enfin on se croyait à l’abri de la canicule et des liaisons collantes, le commandant s’y mettait : « Nous vous prions de rester RRassis jusqu’à l’immobilisation de l’appareil. » Alors, on restait RRassis, pétrifiés.
Aujourd’hui, le doute n’est plus permis : mettez-vous devant votre poste de télé, fermez les yeux pour mieux entendre l’authenticité d’une langue orale dont vous vous imaginez que seuls vos étudiants l’acquièrent par imprégnation, et surtout ne quittez pas les informations du journal télévisé d’une oreille : vous entendrez que « les réacteurs nucléaires peuvent tomber RRen panne » et vous saurez que, pour respecter l’identité de cette langue française en pleine évolution, il va vous falloir vivre avec votre époque et enseigner RRà vos étudiants à prononcer RRautrement.