Chers collègues, vous savez tous qu’on ne peut remettre en cause un ordre canonique organisé de gauche à droite dans le système culturel de l’écrit en français. Si l’on considère la succession des lettres, c’est une vérité absolue : pour écrire en, vous tracez un e, puis, à la droite du e, un n. Le sens général de l’écriture, c’est bien de gauche à droite, quel que soit le style d’écriture, imprimerie, cursive, script.
Observez maintenant le tracé de la lettre cursive et son mouvement : il apparaît que certaines d’entre elles, à un moment ou à un autre de leur élaboration interne, dévient (du verbe dévier !) de cet ordre canonique, lui « désobéissent » pour revenir en arrière et faire une incursion droite/gauche. C’est là une difficulté dans l’apprentissage du tracé, au Primaire certainement, mais aussi et simplement pour les élèves qui ont des difficultés à maîtriser les lettres latines.
Sur la base de ces parties tracées en sens inverse du sens général de l’écriture et en faisant abstraction des ajouts (tels que le point du i et du j, ou la barre du t) qui imposent de revenir en arrière, je vous propose trois catégories de cursives :
· Lettres entièrement tracées de gauche à droite : i, m, n, p, r, t, u, v, w.
· Lettres dont la graphie démarre vers la droite, comme les précédentes, et comportant un retour en arrière de façon à tracer une boucle : b, e, f, h, j, k, l, s, y, z.
· Lettres dont la graphie démarre vers la gauche, dans le sens inverse du sens général de l’écriture : a, c, d, g, o, q, le x pour la seconde partie.
Or, ce classement ne me satisfait pas. Pour deux raisons qui tiennent au processus de graphie lui-même et non pas seulement à l’observation de la structure des cursives :
En premier lieu, l’observation du processus dynamique de l’écriture chez l’apprenant montre qu’une lettre comme b, qui dévie du sens canonique pour faire une petite incursion vers la gauche au cours de son élaboration interne – et non à son point de départ – entraîne certes une difficulté, mais mineure parce qu’elle concerne la lettre déjà commencée et n’implique pas de rupture gestuelle.
En second lieu, la micro-observation de ce même processus fait apparaître que toutes les cursives ne démarrent ni même endroit ni dans le même sens. Ainsi la difficulté ne résiderait pas dans le fait d’écrire occasionnellement de droite à gauche mais bien dans celui d’une rupture de sens au niveau du démarrage de la lettre.
Il nous faudrait alors expliquer ce qu’est la graphie du français et des langues, à alphabet latin notamment, en distinguant deux niveaux dans la graphie :
1) - la direction générale de l’écriture et de la lecture, qui ordonne le sens ;
2) - le niveau à double volet de l’apprentissage des cursives, impliquant, en premier lieu, une nette prise de conscience du mouvement initial des lettres, ensuite et seulement ensuite, le tracé interne de chacune d’entre elles.
L’essentiel étant de marquer la distinction entre deux niveaux du geste dans l’apprentissage du tracé : le sens général de la graphie et le point de démarrage des lettres. Ensuite seulement, on peut étudier, comme le font certains logiciels ou méthodes d’apprentissage des cursives, les points successifs par lesquelles passe chaque lettre. La didactique du FLE a encore à faire pour prendre la mesure de la place et de la fonction qu’occupent les différentes sortes de caractères, scripts, cursifs, majuscules, dans le quotidien de l’enseignement de l’écrit ; elle pourrait aussi s’interroger sur le geste d’écrire et la naissance des lettres, sur la maîtrise culturelle des tracés. Et démontrer que la langue française n’est pas la seule à vivre ce genre de contradiction spatiale interne dans l’écriture cursive. D’autres langues ont, elles aussi, des démarrages à l’envers et des ruptures dans la continuité de la chaîne de l’écrit. À démontrer ? Je vous attends !