Cher collègues, voici une synthèse en clin d'oeil de différentes options méthodologiques et successives qui ont marqué la didactique du FLE : 1) Méthode directe :
C'est un dahlia ! 2) Approche communicative : Tu veux un dahlia ? 3) Perspective actionnelle : Faisons pousser un dahlia ! Appel aux collègues impliqué.e.s dans le domaine des langues en Europe Formateurs/-trices, enseignant.e.s, chercheur.e.s, décideurs/-euses, auteur.e.s de matériel
Au cours des années 2017 et 2018, trois associations impliquées dans le domaine des langues se sont mobilisées pour se faire entendre auprès du Conseil de l’Europe (COE), au sujet de son initiative de modification d’un des instruments majeurs de sa politique linguistique, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), initialement mis en place depuis 2001 et reconnu ensuite par l’Union européenne. Nous souhaitons ici vous faire part de ces démarches, des motifs de préoccupation dont nous avons fait état et de la manière dont nos initiatives ont été traitées par la Division des Politiques éducatives (Programme des Politiques linguistiques) du Conseil de l’Europe. Rappelons pour commencer le contexte de notre initiative. A l’origine, le CECR a été bâti selon une construction rigoureuse : un travail collectif et plurinational reposant sur un symposium fondateur, un socle de « rapports » individuels ou collectifs sur des thématiques imposées traitées par des chercheurs choisis par le COE pour leurs compétences, plusieurs versions avancées du texte soumises à réactions, une version définitive présentée devant les Ministres concernés des pays membres du COE, une campagne nationale de diffusion et d’explication. Au-delà de ces procédures de validation, le CECR a constitué un outil dont l’originalité était de penser une structure aussi bien théorique que programmatique, transversale aux langues enseignées en Europe (que celles-ci soient langues nationales, régionales, européennes ou non), à un moment où l’élargissement politique à l’Est de l’Europe était en cours. La force de cet outil a aussi été perçue hors de l’Europe où il a été discuté, et parfois réutilisé, voire décalqué. Enfin, il a généré différentes productions et réflexions didactiques (par exemple Le Portfolio européen des langues), entre autres dans des lieux spécifiques comme le Centre Européen des langues vivantes. Un projet de « volume complémentaire » a été lancé en 2014 et validé en 2017. Or, ce projet repose sur une procédure de construction beaucoup plus faible : deux initiatives individuelles conjointes, un financement partiellement hors Conseil de l’Europe, un questionnaire rempli sur Internet, une diffusion réfractaire au débat (cf. infra) bien que revendiquant un impact de niveau européen. En outre, cet outil n’est plus en phase avec les problématiques de l’Europe des années 2010, caractérisées par des formes de repli identitaire, voire nationaliste, par la montée en force d’une politique sécuritaire et par la domination d’une « gouvernance » gestionnaire, néolibérale et technocratique. Le choix effectué dans ce volume complémentaire « d’amplifier » le CECR essentiellement par reconduction et extension d’une logique de niveaux et de descripteurs risque même de renforcer des formes de technicisation de l’enseignement des langues et ouvre la porte à différentes formes d’instrumentalisation politique, a fortiori dans la situation européenne contemporaine. Du fait de ces différents éléments problématiques, nous avons adressé en mai 2017 à la Division de l’Enseignement supérieur et de la recherche et à la Division des Politiques Educatives du Conseil de l’Europe une Tribune intitulée « The expanded CEFR project : a not so good initiative by the Council of Europe / Le projet d'amplification du CECR : une fausse bonne initiative du Conseil de l'Europe ». Cette Tribune signifiait nos inquiétudes en faisant état de nécessaires points de vigilance, liés aux implications éthiques, politiques et scientifiques de ce projet alors en cours de conception. Bien que soutenue par un nombre important d’acteurs concernés par l’enseignement et l’apprentissage des langues en Europe (87 signatures individuelles et 7 signataires institutionnels), l’alerte collective lancée par cette Tribune est restée sans réponse de la part de ses destinataires. En mai 2018, nous avons transmis une Lettre ouverte aux participants à la « Conférence de lancement du volume complémentaire du CECR avec de nouveaux descripteurs » (Conseil de l’Europe, Strasbourg, 16-18 mai 2018), sous couvert de ses organisateurs. Cette lettre ouverte, qui reprenait les principaux éléments de notre précédente Tribune, n’a pas été relayée. Ainsi, un an après la validation du Volume complémentaire, deux conclusions s’imposent :
Mobilisé.e.s, nous retenons la nécessité d’une réflexion qui interroge le rôle des langues dans les sociétés européennes d’aujourd’hui, quels que soient leurs statuts, leurs ancrages géographiques et nationaux, la diversité de leurs modalités d’apprentissage et de leurs contextes d’enseignement. Alors que l’élan des années 2000 impulsé dans ce domaine par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne s’est perdu et que la politique linguistique de l’Europe n’est plus réactive, nous en appelons à votre vigilance, à votre sens critique, à vos initiatives créatrices et citoyennes, aux débats que vous conduisez sur le terrain, dans vos recherches, dans vos productions, pour alerter votre entourage professionnel, susciter des discussions autour de vous, mettre en lumière les enjeux, les spécificités et la complexité d’une Europe plurilingue et pluriculturelle, les résistances rencontrées, les dépassements nécessaires vis-à-vis des présupposés retenus dans les années 2000. Dans la perspective de sensibiliser aux présupposés, aux limites, aux dérives possibles de cet outil, dont chaque utilisateur devient responsable, mais aussi dans l’idée de construire collectivement une position informée, nous vous invitons à partager avec nous vos réflexions, vos expériences ainsi que les savoirs (également critiques) qui en émergent concernant les usages et modalités de mise en œuvre du Volume complémentaire, dans vos situations professionnelles respectives. A cette fin, nous envisageons d’organiser, mi-juin 2019, une manifestation scientifique sur deux jours à Paris, dans la perspective de mettre en discussion les orientations et options qui s’offrent à la didactique des langues contemporaine, la discussion étant ici considérée comme un principe visant à rallier des énergies (éventuellement contradictoires) actuellement dispersées. Nous allons avancer dans les prochains mois dans la construction de cet événement fédérateur. Si vous souhaitez être tenus au courant, contactez-nous. Paris, le 18 septembre 2018 Acedle, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères ; Contact : Emmanuelle Huver, Université de Tours ; Deborah Meunier, Université de Liège. ASDIFLE, Association de didactique du français langue étrangère. Contact : Véronique Laurens, Présidente TRANSIT-LINGUA, Association Travaux en Réseaux, Approches Nouvelles en Situations Interculturelles et Transnationales. Contact : Geneviève Zarate, Présidente, et Danielle Lévy, Présidente du Conseil scientifique NB : l’ensemble des textes cités ici (Volume complémentaire, Tribune, Lettre ouverte), sont rassemblés et librement consultables sur le site de l’Asdifle (https://asdifle.com/content/veille-cecrl). file:///C:/Users/Regine/Desktop/Appel%20aux%20coll%C3%A8gues% i pour modifier. AFP, publié le lundi 30 juillet 2018 à 17h50 :
« Le parlement a définitivement adopté lundi, par un ultime vote de l’Assemblée, l’interdiction des portables dans les écoles et collèges, voire dans certains lycées… » Et moi qui vous avais concocté d’excellents exercices interactifs pour utiliser le smartphone en classe d’oral ! CRÉSUS ET STUPIDUS PLANTENT UN CLOU (CECRL A-1)
Stupidus. - Qu’est-ce que c’est ? Crésus. - C’est un marteau Stupidus. - Pour quoi faire ? Crésus.- Pour planter le clou ! Stupidus. - Comment on fait ? Crésus. - C’est facile : On tape ! Stupidus. - On tape où ? Crésus. - Sur le clou bien sûr ! Stupidus. - Ah bon ? Sur le clou ? Crésus. - Oui ! Comme ça ! Stupidus. – Mais c’est ton doigt ! ci pour modifier. Chers collègues, voulez-vous que je vous raconte le flou de l’oral en classe de FLE ? Vous savez, les impossibles questions que l’on pose aux débutants et dans lesquelles tous les manuels se prennent les pieds ? Voilà donc l’histoire des verbes s’appeler et épeler. Le petit nouveau arrive dans la classe ; le professeur lui demande comment il s’appelle. «LE PROFESSEUR. –Bonjour ! Comment tu t’appelles ? L’ÉLÈVE. – (Silence). LE PROFESSEUR. –Comment tu t’appelles ? L’ÉLÈVE. – Tapel… LE PROFESSEUR. – Mais non, ne répète pas ! Je te demande COMMENT TU T’APPELLES ! Écoute bien : « Moi : Madame Durand ! ». D’accord ? Je m’appelle Madame Durand ? Compris ? Et toi, comment tu t’appelles ? L’ÉLÈVE. – Tapel Mahandajadarabam ! LE PROFESSEUR. –Pardon ? Comment tu t’appelles ? L’ÉLÈVE. – Tapel Mahandajadarabam ! LE PROFESSEUR. –Ah bon ? …....... ÉPELLE ! L’ÉLÈVE. – Tapel Mahandajadarabam ! LE PROFESSEUR. –Mais non ! Comment ça s’épelle ? Je ne te demande pas comment tu t’appelles, je te demande COMMENT ÇA S’ÉPELLE ! L’ÉLÈVE. – Sepel Mahandajadarabam !!! » Etc. Le flou de l’oral en FLE, c’est le bruit des mots qui se ressemblent et s’assemblent, leur son hors sens. Chers collègues, pourquoi ne pas construire ensemble le dialogue phonétique parfait qui différencierait la prononciation des verbes s’appeler, épeler, peler , piler et s’épiler ? On se poilerait, non ? Au théâtre, les acteurs fuient avec horreur les fautes de liaisons. Elles sont diverses mais, sur scène, on les regroupe par facilité sous le terme unique de « cuir ». Au quotidien, cette fausse liaison, ou cuir donc, est aussi un piège. Je ne sais pas comment c’est dans votre pays, mais à Paris, la liaison avec les Zeuros est un danger permanent quand on passe à la caisse. Voyez plutôt ce dialogue et ses cuirs.
Amusez-vous avec vos apprenants, puis, faites-leur rétablir les bonnes liaisons, enfin, faites-leur jouer ce dialogue…correctement ! CAISSIÈRE. – Ça vous fait 21 Neuros. CLIENTE. – Ah, je n’ai qu’un billet de 50 Zeuros. CAISSIÈRE. – Donnez-moi toujours 20 Teuros. Je vous rends 29 Euros. CLIENTE. – 20 Teuros ? Il va me manquer 6 Zeuros. Ah ! J’ai trouvé un Neuro ! CAISSIÈRE. – Donnez-moi deux Zeuros, ou un Neuro en petite monnaie. Un Neuro, vous avez ? Je vous rends 55 Euros. CLIENTE. – Un Neuro ? Mais je n’ai pas d’Euro ! CAISSIÈRE. – Et une pièce de deux ? Vous avez ? CLIENTE. – De deux ? De deux quoi ? CAISSIÈRE. – De deux Zeuros, je vous rendrai 34 Euros. CLIENTE. – Sur combien ? Je n’y comprends rien. Et si je vous donne 100 Teuros ? CAISSIÈRE. – Impossible, je n’ai que 91 Euros dans ma caisse, je ne peux rien vous rendre. CLIENTE. – Si vous me rendiez 70 Zeuros et que je vous donne un chèque de un Zeuro ? CAISSIÈRE. – Parfait ! Hou la la ! Madame, au fond, le franc, c’était mieux ! Un franc, deux francs, dix francs, c’était toujours pareil, on vivait tranquilles. Au revoir Madame. N’oubliez pas vos Zachats, vous voulez Zun sac ? C’est trois centimes d’Euro. » A vous ! In les mots de l'espace : entre expression et appropriation, sous la direction de Marie Berchoud, L’harmattan, Paris, 2009. Résumé Dans le processus d’apprentissage du français écrit, on enseigne que le français s’écrit comme il se lit, de gauche à droite. Mais on confond sans doute le résultat final (l’écrit) avec le processus concret de la graphie, du point de vue de celui qui l’accomplit : si on considère en particulier l'enseignement des cursives, ce sens de l'écrit ne s'accompagne pas d'un tracé qui respecte systématiquement cet ordre spatial. C’est là une première difficulté pour l’ensemble des apprenants. A cette première difficulté vient s’en ajouter une autre en français langue étrangère, ce qu’on peut appeler un interdit spatial chez les apprenants qui ont appris qu’écrire de droite à gauche était une erreur ou une faute dans le système d’apprentissage français et/ou que ce sens est celui de leur système graphique premier : c'est le cas en français langue étrangère. 1. Ecrire : une Forme sociale Chacun le sait, le geste d’écriture est à la fois personnel et social : enraciné dans le corps du scripteur, il manifeste aussi la culture dans laquelle il a cours, celle dans laquelle il a été montré, appris, reproduit, qui n’est pas forcément celle dans laquelle vit ou travaille le scripteur. Cette direction de l’écriture influe sur l’ensemble des capacités sensorielles de l’individu : par exemple, l’exercice de la vue est conditionné par la direction de la graphie en usage dans telle ou telle aire culturelle, ce dont l’art ou les images publicitaires témoignent suffisamment. Chacun le sait, mais en avons-nous tiré les conséquences didactiques, rien n’est moins sûr. L’auteur du geste d’écrire inscrit des sons, du sens, dans un certain ordre qui est celui voulu par la langue et son institutionnalisation dans de l’écrit. Cette langue est celle de l’apprenant, une langue première, ou alors une autre langue. Si c’est la sienne, il sait déjà dans quel sens se fait la lecture, à partir d’un début situé dans l’espace/page, à droite, à gauche, en haut ou en bas. Mais, à cette première orientation générale vient se greffer un sous-ensemble de gestes différenciés qui fait partie de l’apprentissage de l’écrit. D’une part et pour ce qui est du français, cet apprentissage ne se fait pas avec les caractères de la lectures, le script, mais avec des cursives ; d’autre part, cet apprentissage renvoie, en FLE, à des apprenants qui ont déjà une certaine vision, juste ou erronée, de la page et du geste. Une confluence propre à dérouter certains. Notre analyse va distinguer deux types fondamentaux de lettres cursives ne correspondant à aucune catégorie enseignées ou reconnue à notre connaissance : les « normales » et les « folles ». Ce sont ces dernières, qui démarrent dans le sens inverse du sens général de l'écriture, qui font difficulté, particulièrement pour certains apprenants de FLE. Pourquoi ? Nous proposerons une hypothèse après avoir observé les cursives et déterminé l'identité des lettres « folles » 2. De l’observation des tâches d’écriture au classement des cursives 2.1. Retour critique sur des observations Une expérience longue d’enseignement du français langue étrangère ainsi qu’une recherche universitaire m’ont conduite à préciser et ordonner mes observations sur l’apprentissage de l’écriture, puis à en tirer les conséquences didactiques. De façon générale, on ne peut remettre en cause un ordre canonique organisé de gauche à droite dans le système culturel de l’écrit en français. Si l’on considère la succession des lettres, c’est une vérité absolue : pour écrire en, je trace, tu traces un e, puis, à la droite du e, un n. Le sens général de l’écriture, c’est bien de gauche à droite, quel que soit le style d’écriture : imprimerie, cursive, script. Mais l’observation du tracé montre que certaines cursives, à un moment ou à un autre de leur élaboration interne, dévient de cet ordre canonique, lui « désobéissent » pour revenir en arrière et faire une incursion droite/gauche. C’est là une première difficulté dans l’apprentissage du tracé. Sur la base de ces parties tracées en sens inverse du sens général de l’écriture et en faisant abstraction des ajouts (tel que le point du i et du j, ou la barre du t) qui imposent de revenir en arrière, on pourrait proposer trois catégories de cursives : · Lettres entièrement tracées de gauche à droite : i, m, n, p, r, t, u, v, w. · Lettres dont la graphie démarre vers la droite, comme les précédentes, et comportant un retour en arrière de façon à tracer une boucle : b, e, f, h, j, k, l, s, y, z. · Lettres dont la graphie démarre vers la gauche, dans le sens inverse du sens général de l’écriture : a, c, d, g, o, q, le x pour la seconde partie. Or, nous allons le voir, ce classement n’est pas satisfaisant et c’est la micro-observation des gestes des apprenants qui nous l’a prouvé. 2.1. Pour un nouveau classement des cursives selon leur processus de graphie Ce classement n’est pas satisfaisant pour deux raisons qui tiennent au processus de graphie lui-même et non pas seulement à l’observation de la structure des cursives : 1) l’observation du processus dynamique de l’écriture chez l’apprenant montre qu’une lettre comme b, qui dévie du sens canonique pour faire une petite incursion vers la gauche au cours de son élaboration interne – et non à son point de départ – entraîne certes une difficulté, mais mineure parce qu’elle concerne la lettre déjà commencée et n’implique pas de rupture gestuelle. 2) la micro-observation de ce même processus fait apparaître que toutes les cursives ne démarrent ni même endroit ni dans le même sens. Ainsi la difficulté ne résiderait pas dans le fait d’écrire occasionnellement de droite à gauche mais bien dans celui de démarrer au bon endroit et dans le bon sens. Du point de vue de la pratique pédagogique, cela mène à réduire l’obstacle au point d’ancrage de la cursive, à la zone où s’amorce sa direction. Là, deux mouvements inverses s’affrontent sur la frontière du sens de l’écrit, le sens obligatoire (gauche/droite) et le sens interdit (droite/gauche) voire tabou pour certains scripteurs : · Un mouvement initial montant vers la droite, autorisé, · Un mouvement initial descendant vers la gauche, interdit. En conséquence, notre classement définitif va réunir les deux premières catégories pour les opposer à la troisième sur la base de ces mouvements initiaux. Dans la première catégorie se trouvent toute les lettres dont le mouvement initial s’effectue vers la droite, qu’elles forment ou non des boucles au cours de leur élaboration interne ; dans la seconde catégorie se rangent uniquement les lettres qui ont un mouvement initial vers la gauche. Nous allons voir à présent quelques conséquences didactiques relatives à l’apprentissage de la graphie du français, langue non maternelle. 3. Didactique du geste et caractères des lettres « normales » et « folles » 3.1. Le geste graphique ou les caractères des lettres Les deux types de lettres que nous opposons sont donc les cursives interdites, à mouvement initial vers la gauche et que les étudiants engagés en didactique de l’écrit ont nommé eux-mêmes des lettres « folles » – a, c, d, g, o, q et x pour sa seconde partie - et toutes les autres, qui ont eu droit à l’appellation de « normales », puisque, démarrant dans le bon sens, elles ne sont pas folles : b, e, f, h, i, j, k, l, m, n, p, r, s, t, u, v, w, y, z. . : · Caractères des dix-neuf cursives de première catégorie, « normales » : - elles partent de la ligne ; - elles commencent de gauche à droite en montant ; - on peut les enchaîner de gauche à droite dans un mot ; - elles ne demandent pas au scripteur de lever son stylo durant la graphie d’un mot. · Caractères des sept cursives de seconde catégorie, ou « folles » : - elles sautent et partent au dessus de la ligne de graphie ; - elles commencent de droite à gauche en descendant ; - il faut lever le stylo pour aller les chercher et les ramener, les raccrocher ; - elles ne s’enchaînent pas à de gauche à droite dans un mot, le scripteur doit arrêter son geste en cours de graphie. Reste à voir le cas de ce qu’on peut appeler les retours : trois lettres, i, j, t, des lettres « normales », dans le bon sens, impliquent cependant un retour en arrière une fois qu’elles ont été tracées sur la ligne ou dans le fil de l’écriture : pour poser le point de i et j, le trait de t. D'autres ajouts demandent au scripteur de lever le crayon à la fin du mot et de retourner en arrière pour l'achever : principalement les accents et, éventuellement, la cédille. D’expérience on peut dire que ces retours en arrière ne font pas difficulté, à la seule condition qu’ils s’effectuent une fois le mot terminé et non pas dans le mot, ce qui impliquerait une rupture avec un lever de stylo. 3.2. Des conséquences didactiques En clair, il est essentiel pour l’apprenant de maîtriser l'ensemble de cette gestuelle graphique, dans l'espace et dans le temps, avec ses ruptures et ses retours en arrière. Et ceci d’autant plus que les cursives « folles » comme toutes les autres, dites « normales », une fois considérée dans leurs points de départ et leurs démarrages vers la gauche ou la droite, doivent être replacées dans un processus graphique faisant intervenir une succession de points de repère dans l’espace qu’il reste à définir et à expliciter pour chacune. En clair aussi, le rôle de l’enseignant est ici capital : il lui revient en effet d’éclairer, d’expliquer ce qu’est la graphie du français et des langues à alphabet latin, notamment en distinguant deux niveaux dans la graphie : - la direction générale de l’écriture et de la lecture, qui ordonne le sens ; - le niveau à double volet de l’apprentissage des cursives, impliquant, en premier lieu, une nette prise de conscience du mouvement initial des lettres, ensuite et seulement ensuite, le tracé interne de chacune d’entre elles, « folle » ou « normale ». Est-il utile encore d’insister en disant que ce niveau de prise de conscience et de mise en ordre conditionne celui de l’enchaînement heureux des mots, des phrases, de l’écrit, du sens dans son ensemble, d’une progression pédagogique stable. 4. Le cas du français langue étrangère : un interdit ? 4.1. Des apprenants en difficulté La difficulté à maîtriser les retours en arrière, surtout initiaux, et principalement les lettres dites « folles » semble plus accentuée pour les apprenants de FLE quel que soit leur âge, d’après notre expérience. Le désarroi de ces apprenants est sensible et la micro-observation de leur gestuelle fait apparaître une sorte d’indécision, une hésitation étonnée à un moment précis : à l’initial de ces lettres« folles ». Nous avons observé ces difficultés auprès d’élèves de classes d’accueil mais aussi auprès d’étudiants des cours de langue universitaires et ces apprenants ont pu se libérer lorsqu’ils ont eu un regard nouveau sur les différentes lettres : à partir du moment où l’enseignant, leur donnant une image vivante et mouvante des lettres, a explicité ce qu’il avait de remarquable dans les micro- actions soutenant les formes les plus simples et les plus opposées des lettres. Ainsi, on peut enfiler les lettres « normales » comme des perles, à l’opposé, on passe, pour les lettres « folles », par une succession d’actions qui engagent le corps, lever le stylo, aller chercher la lettre, la rapporter et la raccrocher. On peut tenter de dresser un profil de ces apprenants : il s’agit généralement d’apprenants en difficulté, qui échappent aux parcours d’apprentissage classiques, le plus souvent de faux débutants mal situés sur la frontière entre deux cultures, migrants ou étudiants étrangers. Cela signifie concrètement qu’ils ont déjà eu des contacts, au moins visuels avec les caractères latins, en script, en majuscules, ou en cursives, mais qu’ils distinguent mal les différents styles de lettres. Quant aux cursives, ils ne peuvent en maîtriser le tracé et, s’ils savent lire, ils restent confinés dans une catégorie inconnue des référentiels de compétences en langues qu’on pourrait appeler d’insuffisante maîtrise du tracé et, partant, de la production écrite. Notre hypothèse, construite et validée au fil de l’expérience, est que la rupture gestuelle -et sans doute aussi visuelle-, engendrée par ces lettres, associée à un démarrage « à l’envers » crée le désarroi. Au moment où le geste du scripteur, lancé de gauche à droite, doit s’arrêter. Alors, ce scripteur se trouve confronté à ce qu’il a dû plus ou moins intégrer comme un interdit spatial institutionnel : on ne trace pas la chaîne écrite de droite à gauche dans l’écrit français. Leur anxiété s’inscrit dans une logique d’hypercorrection culturelle. 4.2. Des enseignants de FLE avertis et formés La réponse à cette question de l’interdit, question jamais posée, car indistincte, n’est pas claire pour les apprenants, simplement leur corps déjà marqué de scriptural résiste à travers leur geste. Cette question et sa réponse devraient être formulées par l’enseignant, sous des formes variables, du plus simple au plus métaphorique, mais convergentes de façon à être entendu de tous. L’essentiel, on l’a vu, est de marquer la distinction entre deux niveaux du geste : le sens général de la graphie et le point de démarrage des lettres, folles et normales. Ensuite seulement, on peut étudier, comme le font certains logiciels d’apprentissage des cursives, les points successifs par lesquelles passe chaque lettre. La didactique du FLE a encore à faire pour prendre la mesure de la place et de la fonction qu’occupent les différentes sortes de caractères, scripts, cursifs, majuscules, dans le quotidien de l’enseignement de l’écrit ; elle pourrait aussi s’interroger sur le geste d’écrire et la naissance des lettres, sur la maîtrise culturelle des tracés. Et démontrer que la langue française n’est pas la seule à vivre ce genre de contradiction spatiale interne dans l’écriture cursive, l’arabe et d’autres langues ont, elles aussi, des démarrages à l’envers et des ruptures dans la continuité de la chaîne de l’écrit. Cet essentiel va au-delà du didactique ; ou alors le didactique est ancrée dans le culturel. Réponse à l’obligation qui est faire par l’Institution d’une gestuelle inscrite dans un rapport spatial initial gauche/droite dans les comportements du monde de l’écrit, ouvrir un livre, tourner la page, tirer un trait, prendre un double feuille dans le bon sens, enfin, poser son stylo et commencer à tracer, écrire..., le désarroi de ces apprenants ne serait qu’un interdit culturel trop bien intériorisé. Leur demande-t-on vraiment soudainement de faire ce qu’on leur interdit sans cesse ? Voilà pourquoi ces lettres dites par les apprenants eux-mêmes « folles », complexes par leur tracé dans l’espace, constituent une difficulté non seulement dans leur graphie mais aussi, en arrière-plan, pour une raison culturelle, en particulier dans le cadre de l’enseignement du français langue étrangère : leur apprentissage nécessite de savoir «déjouer » l’interdit en le comprenant et en sachant où il s’exerce sur la feuille. C’est le travail de l’enseignant. Pour surmonter cet interdit, il faut une autorisation. C’est l’attente de l’étudiant. Terminons avec le rôle de l’enseignant : selon nombre de didacticiens, l’enseignant serait désormais un animateur, une aide, car les nouvelles technologies et les médias lui feraient une vive concurrence dans l’accès au savoir ; or on a vu ici que son rôle de médiateur culturel est loin d’être négligeable. Sa compétence à observer les formes et les contours de l’écrit dans sa propre langue, parallèlement, son aptitude à les expliciter, fait de lui celui sur lequel repose l’émergence d’une nouvelle compétence encore inconnue en FLE « Je sais où commencent les cursives ». Références bibliographiques Camilleri Carmel, Anthropologie culturelle et Education, Lausanne, Del.et Niestlé, 1985 Canter-Kohn Ruth, Les enjeux de l’observation, Paris, PUF, 1982 CDDP du Haut-Rhin, De l’apprentissage du tracé à l’écriture cursive, Strasbourg, 2004 Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues. Apprendre, enseigner, évaluer, Paris, Didier, 2001 Conseil de l’Europe, Portfolio européen des langues, 15 ans et +, CRDP Basse-normandie/Didier, 2007 Cuq Jean-Pierre, Isabelle Gruca, Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Grenoble, PUF, 2006 Dautry Régine, « Quelle place au collège pour les élèves non scolarisés antérieurement ? »Cahier pédagogique n°417, Paris, octobre 2003 Ledrut Raymond, La Forme et le Sens dans la société, Paris, Méridiens, 1984 Moles, Abraham A., Elisabeth Rohmer Une théorie des actes, Casterman, 1977, Rosen Evelyne, Le point sur le Cadre européen commun de référence pour les langues, Paris, CLE international, 2007 Simon Mathéa, Decoo Wilfried, « Comment vaincre l’anxiété en classe de langue », Le français dans le monde n°352, juillet-août 2007
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