Appel aux collègues impliqué.e.s dans le domaine des langues en Europe Formateurs/-trices, enseignant.e.s, chercheur.e.s, décideurs/-euses, auteur.e.s de matériel
Au cours des années 2017 et 2018, trois associations impliquées dans le domaine des langues se sont mobilisées pour se faire entendre auprès du Conseil de l’Europe (COE), au sujet de son initiative de modification d’un des instruments majeurs de sa politique linguistique, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), initialement mis en place depuis 2001 et reconnu ensuite par l’Union européenne. Nous souhaitons ici vous faire part de ces démarches, des motifs de préoccupation dont nous avons fait état et de la manière dont nos initiatives ont été traitées par la Division des Politiques éducatives (Programme des Politiques linguistiques) du Conseil de l’Europe.
Rappelons pour commencer le contexte de notre initiative. A l’origine, le CECR a été bâti selon une construction rigoureuse : un travail collectif et plurinational reposant sur un symposium fondateur, un socle de « rapports » individuels ou collectifs sur des thématiques imposées traitées par des chercheurs choisis par le COE pour leurs compétences, plusieurs versions avancées du texte soumises à réactions, une version définitive présentée devant les Ministres concernés des pays membres du COE, une campagne nationale de diffusion et d’explication. Au-delà de ces procédures de validation, le CECR a constitué un outil dont l’originalité était de penser une structure aussi bien théorique que programmatique, transversale aux langues enseignées en Europe (que celles-ci soient langues nationales, régionales, européennes ou non), à un moment où l’élargissement politique à l’Est de l’Europe était en cours. La force de cet outil a aussi été perçue hors de l’Europe où il a été discuté, et parfois réutilisé, voire décalqué. Enfin, il a généré différentes productions et réflexions didactiques (par exemple Le Portfolio européen des langues), entre autres dans des lieux spécifiques comme le Centre Européen des langues vivantes.
Un projet de « volume complémentaire » a été lancé en 2014 et validé en 2017. Or, ce projet repose sur une procédure de construction beaucoup plus faible : deux initiatives individuelles conjointes, un financement partiellement hors Conseil de l’Europe, un questionnaire rempli sur Internet, une diffusion réfractaire au débat (cf. infra) bien que revendiquant un impact de niveau européen. En outre, cet outil n’est plus en phase avec les problématiques de l’Europe des années 2010, caractérisées par des formes de repli identitaire, voire nationaliste, par la montée en force d’une politique sécuritaire et par la domination d’une « gouvernance » gestionnaire, néolibérale et technocratique. Le choix effectué dans ce volume complémentaire « d’amplifier » le CECR essentiellement par reconduction et extension d’une logique de niveaux et de descripteurs risque même de renforcer des formes de technicisation de l’enseignement des langues et ouvre la porte à différentes formes d’instrumentalisation politique, a fortiori dans la situation européenne contemporaine.
Du fait de ces différents éléments problématiques, nous avons adressé en mai 2017 à la Division de l’Enseignement supérieur et de la recherche et à la Division des Politiques Educatives du Conseil de l’Europe une Tribune intitulée « The expanded CEFR project : a not so good initiative by the Council of Europe / Le projet d'amplification du CECR : une fausse bonne initiative du Conseil de l'Europe ». Cette Tribune signifiait nos inquiétudes en faisant état de nécessaires points de vigilance, liés aux implications éthiques, politiques et scientifiques de ce projet alors en cours de conception. Bien que soutenue par un nombre important d’acteurs concernés par l’enseignement et l’apprentissage des langues en Europe (87 signatures individuelles et 7 signataires institutionnels), l’alerte collective lancée par cette Tribune est restée sans réponse de la part de ses destinataires.
En mai 2018, nous avons transmis une Lettre ouverte aux participants à la « Conférence de
lancement du volume complémentaire du CECR avec de nouveaux descripteurs » (Conseil de l’Europe, Strasbourg, 16-18 mai 2018), sous couvert de ses organisateurs. Cette lettre ouverte, qui reprenait les principaux éléments de notre précédente Tribune, n’a pas été relayée.
Ainsi, un an après la validation du Volume complémentaire, deux conclusions s’imposent :
Mobilisé.e.s, nous retenons la nécessité d’une réflexion qui interroge le rôle des langues dans les sociétés européennes d’aujourd’hui, quels que soient leurs statuts, leurs ancrages géographiques et nationaux, la diversité de leurs modalités d’apprentissage et de leurs contextes d’enseignement. Alors que l’élan des années 2000 impulsé dans ce domaine par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne s’est perdu et que la politique linguistique de l’Europe n’est plus réactive, nous en appelons à votre vigilance, à votre sens critique, à vos initiatives créatrices et citoyennes, aux débats que vous conduisez sur le terrain, dans vos recherches, dans vos productions, pour alerter votre entourage professionnel, susciter des discussions autour de vous, mettre en lumière les enjeux, les spécificités et la complexité d’une Europe plurilingue et pluriculturelle, les résistances rencontrées, les dépassements nécessaires vis-à-vis des présupposés retenus dans les années 2000.
Dans la perspective de sensibiliser aux présupposés, aux limites, aux dérives possibles de cet outil, dont chaque utilisateur devient responsable, mais aussi dans l’idée de construire collectivement une position informée, nous vous invitons à partager avec nous vos réflexions, vos expériences ainsi que les savoirs (également critiques) qui en émergent concernant les usages et modalités de mise en œuvre du Volume complémentaire, dans vos situations professionnelles respectives.
A cette fin, nous envisageons d’organiser, mi-juin 2019, une manifestation scientifique sur deux jours à Paris, dans la perspective de mettre en discussion les orientations et options qui s’offrent à la didactique des langues contemporaine, la discussion étant ici considérée comme un principe visant à rallier des énergies (éventuellement contradictoires) actuellement dispersées.
Nous allons avancer dans les prochains mois dans la construction de cet événement fédérateur. Si vous souhaitez être tenus au courant, contactez-nous.
Paris, le 18 septembre 2018
Acedle, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères ; Contact :
Emmanuelle Huver, Université de Tours ; Deborah Meunier, Université de Liège.
ASDIFLE, Association de didactique du français langue étrangère. Contact : Véronique Laurens, Présidente
TRANSIT-LINGUA, Association Travaux en Réseaux, Approches Nouvelles en Situations Interculturelles et Transnationales. Contact : Geneviève Zarate, Présidente, et Danielle Lévy, Présidente du Conseil scientifique
NB : l’ensemble des textes cités ici (Volume complémentaire, Tribune, Lettre ouverte), sont rassemblés et librement consultables sur le site de l’Asdifle (https://asdifle.com/content/veille-cecrl).
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i pour modifier.
Au cours des années 2017 et 2018, trois associations impliquées dans le domaine des langues se sont mobilisées pour se faire entendre auprès du Conseil de l’Europe (COE), au sujet de son initiative de modification d’un des instruments majeurs de sa politique linguistique, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), initialement mis en place depuis 2001 et reconnu ensuite par l’Union européenne. Nous souhaitons ici vous faire part de ces démarches, des motifs de préoccupation dont nous avons fait état et de la manière dont nos initiatives ont été traitées par la Division des Politiques éducatives (Programme des Politiques linguistiques) du Conseil de l’Europe.
Rappelons pour commencer le contexte de notre initiative. A l’origine, le CECR a été bâti selon une construction rigoureuse : un travail collectif et plurinational reposant sur un symposium fondateur, un socle de « rapports » individuels ou collectifs sur des thématiques imposées traitées par des chercheurs choisis par le COE pour leurs compétences, plusieurs versions avancées du texte soumises à réactions, une version définitive présentée devant les Ministres concernés des pays membres du COE, une campagne nationale de diffusion et d’explication. Au-delà de ces procédures de validation, le CECR a constitué un outil dont l’originalité était de penser une structure aussi bien théorique que programmatique, transversale aux langues enseignées en Europe (que celles-ci soient langues nationales, régionales, européennes ou non), à un moment où l’élargissement politique à l’Est de l’Europe était en cours. La force de cet outil a aussi été perçue hors de l’Europe où il a été discuté, et parfois réutilisé, voire décalqué. Enfin, il a généré différentes productions et réflexions didactiques (par exemple Le Portfolio européen des langues), entre autres dans des lieux spécifiques comme le Centre Européen des langues vivantes.
Un projet de « volume complémentaire » a été lancé en 2014 et validé en 2017. Or, ce projet repose sur une procédure de construction beaucoup plus faible : deux initiatives individuelles conjointes, un financement partiellement hors Conseil de l’Europe, un questionnaire rempli sur Internet, une diffusion réfractaire au débat (cf. infra) bien que revendiquant un impact de niveau européen. En outre, cet outil n’est plus en phase avec les problématiques de l’Europe des années 2010, caractérisées par des formes de repli identitaire, voire nationaliste, par la montée en force d’une politique sécuritaire et par la domination d’une « gouvernance » gestionnaire, néolibérale et technocratique. Le choix effectué dans ce volume complémentaire « d’amplifier » le CECR essentiellement par reconduction et extension d’une logique de niveaux et de descripteurs risque même de renforcer des formes de technicisation de l’enseignement des langues et ouvre la porte à différentes formes d’instrumentalisation politique, a fortiori dans la situation européenne contemporaine.
Du fait de ces différents éléments problématiques, nous avons adressé en mai 2017 à la Division de l’Enseignement supérieur et de la recherche et à la Division des Politiques Educatives du Conseil de l’Europe une Tribune intitulée « The expanded CEFR project : a not so good initiative by the Council of Europe / Le projet d'amplification du CECR : une fausse bonne initiative du Conseil de l'Europe ». Cette Tribune signifiait nos inquiétudes en faisant état de nécessaires points de vigilance, liés aux implications éthiques, politiques et scientifiques de ce projet alors en cours de conception. Bien que soutenue par un nombre important d’acteurs concernés par l’enseignement et l’apprentissage des langues en Europe (87 signatures individuelles et 7 signataires institutionnels), l’alerte collective lancée par cette Tribune est restée sans réponse de la part de ses destinataires.
En mai 2018, nous avons transmis une Lettre ouverte aux participants à la « Conférence de
lancement du volume complémentaire du CECR avec de nouveaux descripteurs » (Conseil de l’Europe, Strasbourg, 16-18 mai 2018), sous couvert de ses organisateurs. Cette lettre ouverte, qui reprenait les principaux éléments de notre précédente Tribune, n’a pas été relayée.
Ainsi, un an après la validation du Volume complémentaire, deux conclusions s’imposent :
- La nouvelle version du CECR utilise le crédit du texte fondateur mais repose sur une distorsion de légitimité.
- A deux reprises, nous avons émis d’importantes réserves et fait part au Conseil de l’Europe de notre souhait d’un débat ouvert, souhait qui n’a pas été entendu.
Mobilisé.e.s, nous retenons la nécessité d’une réflexion qui interroge le rôle des langues dans les sociétés européennes d’aujourd’hui, quels que soient leurs statuts, leurs ancrages géographiques et nationaux, la diversité de leurs modalités d’apprentissage et de leurs contextes d’enseignement. Alors que l’élan des années 2000 impulsé dans ce domaine par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne s’est perdu et que la politique linguistique de l’Europe n’est plus réactive, nous en appelons à votre vigilance, à votre sens critique, à vos initiatives créatrices et citoyennes, aux débats que vous conduisez sur le terrain, dans vos recherches, dans vos productions, pour alerter votre entourage professionnel, susciter des discussions autour de vous, mettre en lumière les enjeux, les spécificités et la complexité d’une Europe plurilingue et pluriculturelle, les résistances rencontrées, les dépassements nécessaires vis-à-vis des présupposés retenus dans les années 2000.
Dans la perspective de sensibiliser aux présupposés, aux limites, aux dérives possibles de cet outil, dont chaque utilisateur devient responsable, mais aussi dans l’idée de construire collectivement une position informée, nous vous invitons à partager avec nous vos réflexions, vos expériences ainsi que les savoirs (également critiques) qui en émergent concernant les usages et modalités de mise en œuvre du Volume complémentaire, dans vos situations professionnelles respectives.
A cette fin, nous envisageons d’organiser, mi-juin 2019, une manifestation scientifique sur deux jours à Paris, dans la perspective de mettre en discussion les orientations et options qui s’offrent à la didactique des langues contemporaine, la discussion étant ici considérée comme un principe visant à rallier des énergies (éventuellement contradictoires) actuellement dispersées.
Nous allons avancer dans les prochains mois dans la construction de cet événement fédérateur. Si vous souhaitez être tenus au courant, contactez-nous.
Paris, le 18 septembre 2018
Acedle, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères ; Contact :
Emmanuelle Huver, Université de Tours ; Deborah Meunier, Université de Liège.
ASDIFLE, Association de didactique du français langue étrangère. Contact : Véronique Laurens, Présidente
TRANSIT-LINGUA, Association Travaux en Réseaux, Approches Nouvelles en Situations Interculturelles et Transnationales. Contact : Geneviève Zarate, Présidente, et Danielle Lévy, Présidente du Conseil scientifique
NB : l’ensemble des textes cités ici (Volume complémentaire, Tribune, Lettre ouverte), sont rassemblés et librement consultables sur le site de l’Asdifle (https://asdifle.com/content/veille-cecrl).
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i pour modifier.